A l'intellectuel engagé Jean Marc Ela, l'Humanité reconnaissante...

Publié le par Joel Didier ENGO

A l'intellectuel engagé Jean Marc Ela, l'Humanité reconnaissante...

La contrainte à l'exil, pour ne point vendre ton âme à l'obscurantisme, confère à ton parcours académique et à ton oeuvre littéraire une immortalité évidente.

Grand homme, repose en paix dans la bénédiction de Dieu et la reconnaissance éternelle.

Merci


Nécrologie: Jean Marc Ela est mort

L’éminent enseignant en exil depuis 1995 au Canada n’est plus.
 
LE 17 DECEMBRE 2008 : L’information a d’abord circulé en début d’après midi de lundi 15 décembre sous forme de rumeur. Après moult recoupements, notamment auprès de compatriotes vivant au Canada où il s’était réfugié depuis 1995, Le Messager n’avait pourtant pu obtenir confirmation du décès de Jean Marc Ela jusque tard dans la soirée au moment où nous allions sous presses. La note diffusée sur la grande toile annonçant le décès du chercheur camerounais était malheureusement fondée.

Pour le moment, rien de précis ne filtre sur le mal qui a emporté l’enseignant émérite. Seule certitude, l’homme était souffrant ces derniers jours, affirment des sources concordantes. La disparition de Jean-Marc Ela plonge dans l’émoi les milieux universitaires. C’est que le sociologue, anthropologue et théologien camerounais (il était titulaire de trois doctorats et d’une licence en philosophie, Ndlr), au-delà de son Cameroun natal, a marqué le monde contemporain par ses écrits. Il était devenu le « porte-parole de l’Afrique des petits », n’hésitant pas à mettre le doigt sur les plaies qui gangrènent la société africaine.

Pendant plus de 25 ans, le chercheur aura passé au crible de son regard critique le quotidien de l'Afrique. «L'homme - l'être humain - est un être de chaque jour. Dans le spectacle du quotidien se trouvent les indicateurs de tout un système. Selon moi, il n'y a pas d'intelligence du social possible sans ce recentrage sur la quotidienneté pour lui donner sens. Ce postulat définit tout l'horizon de ma recherche en sciences sociales », expliquait-il. Ses analyses issues du terrain, parmi les paysans africains confrontés aux multiples problèmes tels que la famine, la sécheresse, la maladie, etc., sont des références en Afrique, et qui font de lui en Europe, un homme de foi et de vérité. « En ce moment, ce qui me préoccupe le plus, c’est de consacrer ma capacité de réflexion et d’analyse sur les enjeux théoriques et institutionnels de la production de connaissances », affirmait-il quelque temps avant sa mort.

L’exil forcé

Une mort qu’il avait dû fuir au Cameroun en 1995 devant les menaces de plus en plus précises qui pesaient sur lui surtout depuis l’assassinat du révérend père Engelbert Mveng, homme de sciences et jésuite. « Qu’a-t-il pu faire ou ne pas faire, dire ou refuser de dire, voir qu’il n’aurait pas dû voir, qui ait pu jeter la mort à ses trousses et le contraindre à l’exil ? », s’interrogeait alors le Pr. Maurice Kamto le 13 décembre 1995 dans les colonnes du Messager (no 462) Pour l’actuel ministre délégué à la Justice, Jean Marc Ela n’était pourtant qu’un « sociologue du peuple ordinaire, de la misère aphone, des campagnes qui se meurent et des villes qui suffoquent (et) point un activiste politique ». Mais le pouvoir ne pensait pas pareil…

Né à Ebolowa chef-lieu de la région du Sud Cameroun en 1936, Jean Marc Ela, auteur prolifique, lègue à la postérité une innombrable bibliographie (voir ci-contre) qui s’illustre par son iconoclasme féroce. Illustration : abordant l’hypothèse d’un pape noir, l’enseignant notait par exemple que « s'il y avait un pape noir, je craindrais qu'il n'y eût pas de changements spectaculaires parce que les évêques et les cardinaux d'Afrique, en dehors de quelques exceptions, sont plus romains que les romains. ( ...) Les églises d'Afrique sont gérées par des évêques qui gardent la mentalité du parti unique. En outre, avec la xénophobie qui se développe actuellement dans les pays occidentaux, je ne sais pas comment un Pape noir pourrait être accepté. »

Perte immense

Commentant la disparition de Jean Marc Ela , Shanda Tonme l’assimile à « un malheur vient toujours gâter un bonheur, sans doute pour nous rappeler qu'il ne faut jamais trop fêter en oubliant que le destin du monde ne dépend pas
toujours de nous. J’apprends juste en ouvrant mon ordinateur, cette triste nouvelle, de retour de la cérémonie de dédicace de dix de mes livres. La mort de Jean Marc Ela est une perte immense pour notre pays, pour l'intelligence africaine en général, et une certaine idée humaniste du monde. C'était un
révolutionnaire tranquille, un vrai engagé dont le verbe se confondait à la flamme de la lutte contre les injustices, un père des pauvres, un apôtre des émotions de la paysannerie et des populations des bas fonds ».

Bibliographie

•1971 La plume et la pioche. Yaoundé : Editions Clé.
•1980 Cri de l'homme Africain. Paris : L'Harmattan. (Traduit en anglais: African Cry et en néerlandais.
•1983 De l'assistance à la libération. Les tâches actuelles de l'Eglise en milieu africain. Paris: Centre Lebret. (Traduit en anglais et en allemand).
•1982 Voici le temps des héritiers : Eglises d'Afrique et voies nouvelles. Paris: Karthala. En collaboration avec R. Luneau. (Traduit en italien).
•1985 Ma foi d'Africain. Paris : Karthala. (Traduit en anglais, en allemand et en italien).
•1989 Cheick Anta Diop ou l'honneur de penser. Paris : L'Harmattan.
•1990 Quand l'Etat pénètre en brousse... Les ripostes paysannes à la crise. Paris, Karthala.
•1992 De la conversion à la réforme dans les églises africaines. Yaoundé : Editions Clé.
•1994 Afrique: l'irruption des pauvres. Société contre ingérence, pouvoir et argent. Paris: L'Harmattan.
•1994 Restituer l'histoire aux sociétés africaines. Promouvoir les sciences sociales en Afrique Noire. Paris : L'Harmattan.
•1998 Innovations sociales et renaissance de l'Afrique noire. Les défis du "monde d'en bas". Montréal/Paris: Harmattan/L'Harmattan
•2001 Guide pédagogique de formation à la recherche pour le développement en Afrique, Etudes africaines

• 2006 Fécondité et migrations africaines : les nouveaux enjeux, Etudes africaines
. 2007 L'Afrique à l'ère du savoir, science, société et pouvoir, Etudes Africaines
• 2007 La recherche africaine face au défi de l'excellence scientifique
livre iii, Etudes africaines
•2007 Les cultures africaines dans le champ de la rationalité scientifique
livre ii, Etudes africaines
• 2007 Recherche scientifique et crise de la rationalité livre i, Etudes africaines

Frédéric BOUNGOU 

Décès de Jean Marc Ela/ La théologie de libération en Afrique perd l’un de ses pères



L’homme de Dieu qui a combattu toute sa vie pour l’émancipation intellectuelle, religieuse et humaine du continent africain s’en est allé.

Mars 1986. Il est 19h. Un repas fraternel rassemble au réfectoire du Collège Le Sillon Jeanne Amougou, fondé par le révérend père Engelbert Mveng, prêtre de la compagnie de Jésus assassiné en avril 1995, un groupe de prêtres et de scolastiques jésuites, et la congrégation des pères de Skeut encore appelé pères Cicm. Outre les pères jésuites Engelbert Mveng, Joseph Huet, Vincent Foutchsancé et le frère Philipe Azeufack de la même congrégation religieuse, les pères Cicm de nationalité congolaise Laurent Mpongo, Cyprien Mboka, mais aussi abbés Prosper Abega et Jean Marc Ela. Ce dernier est l’attraction de l’assistance. Cet intérêt de ses pairs, Jean Marc Ela ne le doit pas à son dernier livre de l’époque, « Ma foi d’Africain » qui vient de sortir, mais à un de ses articles paru dans le quotidien Cameroun Tribune quelques jours avant avait provoqué une forte polémique au sein de l’Eglise locale.

Jean Marc Ela s’attaque au tout puissant et très redouté nonce apostolique de l’époque, Monseigneur Donato Squictuarini dans cet article au titre véritablement provocateur : « A quoi sert un nonce apostolique ? ». L’abbé y fustigeait entre autres, les pratiques mafieuses, le trafic d’influence et l’esprit de domination des faibles qui prévalaient dans les méthodes de travail de celui qui était alors le représentant du Saint siège au Cameroun. Dans une église locale où la plupart des membres du clergé passaient leur temps à soigner leur image face à « l’Oeil du Pape au Cameroun », il fallait avoir un courage à la limite de la témérité pour affronter à un tel dignitaire de l’Eglise. Evidemment le nonce avait répondu.

Non pas pour réfuter ce que l’abbé Jean Marc Ela avait dit, mais plutôt pour menacer le journal, « d’avoir donné la parole à un tel individu ». Donc, au cours de ce repas fraternel chez le père Engelbert Mveng, presque tout le monde a passé la soirée à féliciter l’abbé Jean Marc Ela, « qui a su dire à travers son article au représentant du Saint siège que les églises locales avaient soif d’être respectées, mais surtout d’être appuyées dans leur désir d’émancipation théologique et anthropologique et d’autofinancement », pour reprendre les arguments que l’auteur a lui même utilisé ce soir là, pour défendre sa sortie médiatique. Mais le conflit né à travers cet article était parti pour durer. Convaincu de ses idées, Jean Marc Ela entendait poursuivre le débat. Il s’apprêtait d’ailleurs à donner une autre réplique au nonce apostolique lorsque feu Mgr Jean Zoa, alors très respecté archevêque de Yaoundé l’en dissuade.

Homme d’église et africain

En fait, dans les milieux des débats théologiques africains, Jean Marc Ela bien qu’étant par ailleurs sociologue et anthropologue, était jusqu’à sa mort intervenue en exil au Canada ce 15 décembre 2008, une autorité référentielle. Comme Eboussi Boulaga l’est pour la « philosophie africaine ». Toutes ses œuvres ont un fort caractère de combat pour la libération anthropologique de l’homme africain. Que ce soit dans « La plume et la pioche », ou encore « Le Cri de l’homme africain », en passant par « Ma foi d’africain », « Quand l’Etat pénètre en brousse…riposte paysanne à la crise », ou encore « Voici le temps des héritiers », le livre dont il est coauteur avec le prêtre dominicain français René Luneau, pour ne citer que ces livres, Jean Marc Ela a su questionner de manière essentielle, l’enjeu de Dieu dans les sociétés africaines post coloniales.

Pour lui, la théologie comme science était en fait un exercice de recherche de libération et d’affranchissement des peuples opprimés, à l’image du Christ qui est venu pour ceux qui souffrent dans leur corps et leur esprit de la domination du péché certes, mais aussi de la domination des hommes. C’est pour cette raison que toutes les prises de position, ou alors toutes les réflexions, les enseignements de ce prêtre originaire du diocèse de Sangmélima étaient redoutés par les dictateurs africains et les pontes à l’esprit colonisateur de l’Eglise catholique. L’abbé Jean Marc Ela, avec des prêtres et théologiens africains tels que Engelbert Mveng, Prosper Abega, Pie Claude Ngoumou, Nguindou Muchette, Tsibangou et Joseph Malula, font partie d’une génération d’hommes de Dieu qui ont accepté l’Evangile en totalité, avec la nuance qu’ils ont su indiquer aux yeux de l’Eglise universelle et du monde, l’inéluctable processus de christianisation de la culture africaine. Pour lui Jésus-Christ libère l’homme africain dans sa culture.

C’est ce qu’il appelait « inculturation du message évangélique ». Ce combat mené aux côtés de ses pères aura été à l’origine de la convocation du Synode Africain qui a abouti à la fameuse exhortation post synodale par Jean Paul II « Ecclésia un Africa » en août 1995. Malheureusement lorsque le Pape arrive à Yaoundé pour cette grande manifestation historique de l’Eglise catholique, Jean Marc Ela n’est plus au Cameroun. Des esprits lucifériens, motivés par la violence morbide qui les habite l’avaient contraint à l’exil. Loin, mais alors bien loin de son continent, l’Afrique, et de son pays, le Cameroun. On a encore en mémoire le contexte de son départ qui a laissé en larmes tous ses étudiants et anciens étudiants. Alors que les tenants du système violent en place semblaient se réjouir. L’abbé avait juste dit une messe avec son groupe, le Cercle Malula, en la mémoire du père Engelbert Mveng horriblement assassiné. Il condamnait ce meurtre ubuesque, et demande de prier pour ceux qui l’ont commis.

La violence d’Etat qui prévaut au Cameroun ne l’a pas accepté. Hélas ! Il ne devait que partir. Aujourd’hui, il s’en est allé. Définitivement pendant qu’il était en exil. Cet homme au corps frêle et à l’esprit toujours en alerte ne manquera pas du tout à tous ceux qui sont habités par la funeste passion de l’enrichissement illicite et autres esprits de dictature et des perversités de notre société. Mais il manquera beaucoup aux esprits simples bienveillants et de bonne volonté qui aiment vraiment l’Afrique et le Cameroun. Ceux la peuvent bien lui dire en chœur « Adieu Monsieur l’abbé. Et merci beaucoup pour ce que tu nous a apporté ».

Jean François CHANNON


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